Le modèle de développement chinois Mao-Deng
Otto Kölbl
La combinaison chinoise de Maoïsme centré sur le progrès social suivi d'une libéralisation très graduelle sous Deng Xiaoping s'est révélé être un modèle de développement extrêmement efficace. Malheureusement, pour des raisons idéologiques, les politiques de Mao et de Deng sont en général considérées comme étant en contradiction totale. Seule une approche comparative basées sur des statistiques à long terme fournies par des organisations internationales peut nous permettre de comprendre l'interaction positive entre ces deux approches au développement.
La discussion sur le développement récent de la Chine sous le Parti Communiste Chinois PCC est souvent réduite à la question de savoir si le Maoïsme était la bonne approche ou si au contraire les politiques de Mao étaient un désastre et c'est Deng Xiaoping qui a remis la Chine sur la bonne voie. Cette discussion est extrêmement polarisée, c'est le moins qu'on puisse dire. Dans les médias et le monde académique occidentaux, une seule opinion est jugée acceptable: quiconque ne considère pas Mao comme un dictateur sanguinaire qui n'a rien apporté de bon est incapable de penser librement et a subi un lavage de cerveau par la propagande communiste. Et pourtant, une comparaison avec le développement socio-économique dans d'autres pays révèle que la combinaison de Maoïsme suivi d'une libéralisation extrêmement graduelle sous Deng Xiaoping a permis à la Chine de se développer plus vite que tout autre pays au monde. Ceci est vrai non seulement pour le développement économique, mais aussi pour le développement social comme la réduction de la mortalité et l'alphabétisation.
Les besoins et les aspirations des gens devraient toujours être mis au centre de toute discussion sur le développement. Photo Otto Kölbl, Siping (province de Jilin, Chine), 2012.
Ceci peut sembler surprenant, surtout si l'on considère les différences évidentes dans le niveau de développement entre d'un côté la Chine continentale et de l'autre côté le Japon, la Corée du Sud, Taiwan, Hong Kong, Singapour etc. Cependant, une comparaison sur le long terme entre ces pays et régions montre que les différences ne sont pas dues à des différences dans la vitesse du développement, mais au moment dans le passé quand ils ont commencé leur processus de développement.
Les deux graphiques ci-dessous montrent clairement que presque tous les pays d'Asie et les régions de Chine sous contrôle étranger comme Hong Kong et Taiwan ont commencé à se développer entre 1850 et 1900 environ. D'un autre côté, les statistiques à l'échelle du pays entier ne montrent aucun développement pour la Chine continentale avant 1949. Ces graphiques sont basés sur le PIB par habitant compensé en pouvoir d'achat, qui est considéré comme étant le meilleur indicateur du niveau de vie et du niveau de développement. Bien entendu, les statistiques avant 1950 sont souvent contestées et les graphiques ci-dessous intègrent des données de différentes sources, dont certaines se contredisent. Cependant, les experts sont largement d'accord sur l'évolution dans ses grandes lignes, par exemple sur le fait que dans la première moitié du 20ème siècle, les grandes villes chinoises ont connu un certain développement, mais la majeure partie des campagnes ont même vu une détérioration des conditions de vie.
La première question que nous devrions donc nous poser est de savoir pourquoi la Chine continentale est presque la seule région d'Asie qui n'a pas vu de développement avant l'arrivée au pouvoir du PCC en 1949. Les Guerres de l'opium et le commerce de l'opium qui s'en est suivi ont certainement joué un rôle; les conséquences désastreuses sur la société chinoise de ce chapitre honteux de l'histoire coloniale européenne sont souvent déformées par les auteurs occidentaux. D'un autre côté, toutes les autres régions d'Asie ont aussi eu leur part d'agression coloniale, dans bien des cas même plus destructrice qu'en Chine. Mes recherches me poussent à croire que l'élite chinoise hautement cultivée, en partie sous influence occidentale, avait perdu tout sens des responsabilités. Depuis environ 1800, la quête des privilèges et la corruption avait atteint un niveau tel que cette élite était incapables de gérer un processus de développement digne de ce nom en Chine. Cette situation explique aussi pourquoi le commerce de l'opium est devenu un tel désastre social en Chine, alors que les élites d'autres pays de la région étaient capables de se défendre eux-mêmes et toute la société contre ce terrible poison auquel ils étaient exposés à un degré similaire.
Champ de pavot et rizières en terrasse, par Mme Archibald Little, province de Sichuan (Chine), avant 1899. Comme cette photo et tant d'autres le montrent, seulement une partie de l'opium qui a dévasté la société chinoise avant 1949 était importée par des marchands britanniques; la plupart était cultivée en Chine. Trouvez son livre passionnant "Intimate China" gratuitement sur www.archive.org et www.gutenberg.org.
Les graphiques ci-dessus et ci-dessous montrent aussi que parmi les pays et régions d'Asie qui ont connu une phase de croissance rapide, aucun n'y est parvenu à partir d'une économie agraire pauvre, qu'ils avaient tous jusqu'au moins en 1850. Tous ont traversé une période de croissance lente de plusieurs décennies, durant parfois 50 ans, parfois près d'un siècle ou plus ("phase I" dans le graphique ci-dessus). Seulement après cette première phase consacrée à la mise en place des infrastructures, de l'éducation, du système de santé et d'un début d'industrialisation, ils pouvaient bénéficier d'une phase de croissance rapide ("phase II"). Ceci est vrai aussi bien pour des pays qui sont maintenant plus avancés que la Chine que pour ceux qui ont atteint une croissance rapide ou modérée après la Chine. Le graphique suivant montre la courbe de croissance de plusieurs autres pays d'Asie et de l'(ex-) URSS, c'est-à-dire après 1990 de tous les pays qui en sont issus.
La contribution de Mao au modèle de développement
La Chine est le seul pays au monde qui est parvenu à une phase de croissance rapide après seulement 27 ans de croissance lente sous Mao Zedong (1949-1976). La deuxième question fondamentale est donc: qu'est-ce qui a rendu le développement sous Mao tellement efficace qu'il a réussi à construire les bases nécessaires pour une croissance rapide deux fois plus vite que tout autre pays au monde? Les résultats du PCC sont d'autant plus spectaculaires qu'il a transformé un pays en échec total ("la Chine, l'homme malade de l'Asie") en celui avec le développement le plus impressionnant.
La skyline de Dalian (province de Liaoning, Chine). Photo Otto Kölbl, 2012.
Les statistiques et la recherche historique révèlent que ceci a été rendu possible par la politique de Mao consistant à mobiliser l'énorme force de travail des campagnes par la collectivisation et les campagnes de mobilisation de masse. Dans un pays extrêmement pauvre comme la Chine de l'époque, c'était probablement le seul moyen pour améliorer en si peu de temps les infrastructures, l'éducation et le système de santé au niveau nécessaires pour commencer une croissance rapide. Les statistiques fournies par des organisations internationales comme la Banque Mondiale ainsi que par des chercheurs occidentaux montrent que la politique sociale de Mao a sauvé des centaines de millions de vies. Auparavant, la dynastie Qing (jusqu'en 1911) et le Parti Nationaliste (1912-1949) n'avaient rien fait pour améliorer les conditions de vie de l'immense majorité de la population. Le graphique suivant donne une bonne vue d'ensemble aussi bien du progrès social sous Mao et de son erreur la plus désastreuse, à savoir le Grand Bond en avant (1958-1962), en comparaison avec d'autres pays d'Asie de l'Est:
L'espérance de vie en Chine avant la Seconde Guerre mondiale est un sujet âprement discuté avec une grande variété d'estimations. Les données pour le Japon et sa colonie Taiwan ainsi que pour l'Inde, la Russie et les pays occidentaux sont bien plus fiables. Pour la Chine entre 1953 et 1963, j'utilise les données fournies par un expert de la Banque Mondiale parce que les statistiques officielles sont inadéquates. Malgré toutes ces incertitudes, l'image qui se dégage est assez claire: depuis une situation de départ bien pire que dans presque n'importe quel autre pays, l'espérance de vie en Chine a fait des progrès énormes sous Mao Zedong; en fait, l'amélioration durant les 27 ans de l'ère Mao est unique au monde. Le graphique suivant permet des comparaisons avec d'autres pays à travers le monde :
Non seulement parmi les pays d'Asie de l'Est qui ont maintenant un niveau de vie élevé, mais aussi parmi les pays d'Amérique Latine et même d'Afrique, il est difficile d'en trouver où la situation était aussi terrible qu'en Chine juste avant que le PCC arrive au pouvoir en 1949.
En ce qui concerne la mortalité infantile, nous obtenons une image similaire qu'avec l'espérance de vie. Des données solides sur le progrès social sous Mao Zedong sont disponibles, mais les chercheurs académiques et autres experts qui prétendent nous informer sur cette période importante de l'histoire de la Chine ont décidé de les ignorer. En fait, ils ne les ignorent pas totalement, ils prennent juste les bribes qui s'insèrent bien dans leur discours. Par exemple, pour l'espérance de vie, ils prennent seulement le Grand Bond en avant et calculent le nombre de morts. Il faut informer sur tous les grands désastres, ceci est absolument nécessaire pour éviter que d'autres désastres similaires se produisent à l'avenir. Mais est-ce que les spécialistes nous disent que même durant la pire année de ce désastre, l'espérance de vie n'est pas descendue en-dessous de ce qui était la norme jusqu'à dix ans auparavant, sous la dynastie Qing et le Parti Nationaliste? Ou qu'en l'espace de 20 ans après l'arrivée au pouvoir du Parti Communiste, l'espérance de vie avait doublé, partant d'une valeur autour de 30 ans ou moins pour atteindre plus de 60 ans? Est-ce que quelqu'un a essayé de calculer le nombre de vies ainsi sauvées, comparé à une hypothétique continuation du règne du Parti Nationaliste qui ne s'est jamais préoccupé du progrès social dans les campagnes?
Opération chirurgicale sous anesthésie avec acuponcture dans l'Hôpital du Peuple de la Province du Shandong (Jinan), Chine, avril 1972. Photo William A. Joseph, 1972.
Ceci ne veut pas dire que la Chine sous Mao était un paradis pour les paysans. Afin de pousser le développement plus loin que ce qui pouvait être accompli par l'amélioration de l'agriculture, Mao extrayait autant d'argent de la population que possible pour financer l'industrialisation. Même si les conditions de vie se sont beaucoup améliorées durant cette ère, l'immense majorité de la population était toujours extrêmement pauvre quand les réformes ont commencé à la fin des années 1970.
Nous devrions aussi considérer que le développement ne peut pas être réduit aux uniques aspects socio-économiques. Le progrès dans le domaine des droits économiques et sociaux a été accompli au prix d'une répression souvent brutale contre l'élite traditionnelle, des opposants politiques à l'intérieur et à l'extérieur du Parti Communiste et beaucoup, beaucoup de personnes innocentes. Dans l'ensemble, il y avait très peu de liberté individuelle sous Mao Zedong. La Chine durant cette période était un exemple parfait d'Etat totalitaire. Non seulement la vie publique, mais aussi de nombreux aspects de la vie privée étaient contrôlés directement par l'Etat ou par les communautés locales selon les directives du parti. La société entière était organisée en communies, brigades et équipes de travail; même pour voyager en dehors de la commune, il fallait une autorisation officielle.
Une équipe de travail à Shashiyu (province de Hebei, Chine), en train de terrasser les champs, avril 1972. Photo William A. Joseph.
A part ces formes institutionnalisées de contrôle, Mao s'appuyait fortement sur la mobilisation de communautés locales pour faire appliquer sa politique. La redistribution des terres agricoles gérée par les villages dans les premières années et les Gardes Rouges durant les dernières années de l'ère Mao sont des exemples de ces formes moins organisées de violence. Si nous considérons que tout ceci s'est passé presque sans supervision par les autorités, il est évident que cette violence était aussi dirigée contre beaucoup de victimes innocentes.
Durant la Révolution Culturelle, les Gardes Rouges ne s'attaquaient pas seulement aux fonctionnaires corrompus et aux membres de l'élite traditionnelle qui voulaient récupérer leurs privilèges. Beaucoup de personnes qui travaillaient dur pour développer la Chine, mais avaient la "mauvaise" origine sociale ou refusaient d'abandonner leurs croyances religieuses, étaient la cible de formes brutales d'humiliation et de violence. Photos 1 et 2: photographe inconnu, fournies par Thomas H. Hahn. Photo 3: Photographe inconnu.
Tout ceci doit être considéré dans le contexte d'un pays qui avant 1949 pouvait raisonnablement être comparé avec des pays actuels comme l'Afghanistan et la Somalie. La Chine (1916-1928), l'Afghanistan (1989-1998) et la Somalie (1991-2012) ont tous passé par une phase de seigneurs de la guerre où les institutions de l'Etat se sont totalement écroulées. Entre 1850 et 1949, la Chine avait connu seulement 46 ans de paix relative entre 1870 et 1916, interrompue par la Révolte des Boxeurs (1899-1901) et la chute de la monarchie (1911). Les neuf ans entre 1928 et 1937 étaient aussi relativement paisibles dans la plus grande partie du pays. Autrement, près de la moitié du siècle était une succession de guerres, de guerres civiles, d'insurrections et d'une période de seigneurs de la guerre entre 1916 et 1928. Avant 1949, la société chinoise, surtout à la campagne, avait été ravagée par l'anarchie et la toxicodépendance, surtout parmi l'élite au pouvoir. Cette société était plus structurée par les potentats locaux et le crime organisé que par une administration en état de fonctionner.
Fumeurs d'opium à l'époque de la monarchie. Sous la dynastie Qing et sous le Parti Nationaliste, la dépendance à l'opium était bien plus répandue dans la haute société que dans la population en général. Photo Lai Afong, env. 1880.
Au cours du dernier siècle et demi, peu de pays au monde ont traversé une aussi longue période de désastres sans fin. On peut partir du principe que chaque Chinois a tenté de trouver une solution. Quelques-uns ont réussi plus ou moins à restaurer un semblant d'ordre, seulement pour voir le pays sombrer à nouveau dans le chaos, après quelques années ou décennies de relative stabilité, mais sans développement. Il faut porter au crédit du Parti Communiste d'avoir non seulement rétabli l'ordre, mais d'avoir en plus initié le processus de développement socio-économique le plus rapide que le monde ait vu. Il n'y a qu'à voir l'échec total des recettes occidentales appliquées à des pays comme la Somalie, l'Afghanistan, l'Iraq et la Libye pour mieux apprécier ce que ce parti a accompli.
Nous pouvons certainement apprendre beaucoup en analysant l'ère Mao, mais cette recherche doit être basée sur des données exhaustives sur tous les aspects de la vie humaine. Des données fiables produites ou vérifiées par des organisations internationales ou des chercheurs indépendants sont facilement accessibles, mais les experts académiques occidentaux travaillant sur Mao semblent ignorer d'un commun accord toutes les données disponibles sur le progrès social. S'ils abordent le sujet, ils considèrent en général qu'une phrase est bien suffisante et ne fournissent pas de données comparatives sur le développement d'autres pays. Personne ne se soucie du fait que ces statistiques nous parlent directement d'êtres humains qui ont pu être sauvés ou qui sont morts, souvent dans des conditions terribles. Au lieu de cela, seuls les morts causés par la répression et les décisions politiques désastreuses sont comptés et la conclusion finale est toujours la même: Mao était un des pires dictateurs du siècle passé.
En Chine, il y a bien plus de diversité dans la discussion sur l'ère Mao, mais elle est en général basée exclusivement sur les statistiques officielles chinoises. Ceci implique que le débat devient souvent une simple question de confiance en le Bureau National des Statistiques de Chine, ce qui rend tout accord entre pro-Mao et anti-Mao très improbable. Aussi bien en Chine qu'en Occident, les chercheurs doivent apprendre à surmonter les aprioris idéologiques. Ceci signifie entre autres qu'ils devraient investir autant de temps et d'énergie pour chercher des données qui contredisent leurs préférences personnelles qu'à chercher celles qui les confirment.
"Aider maman à apprendre à lire et à écrire". L'ère Mao a connu un progrès énorme dans le domaine de l'éducation. Les écoles n'étaient pas seulement destinées aux enfants; la lutte contre l'analphabétisme des adultes était également une priorité. Par contre, le bilan pour l'éducation supérieure est au mieux mitigé. Photos: China Posters (gauche), William A. Joseph, 1972 (droite).
Ce sujet dépasse de loin le simple débat académique. Entre autres, cette question est aussi un facteur important dans la communication entre générations en Chine. Dans de nombreuses familles, des débats échauffés ont lieu entre d'un côté les grands-parents qui se rappellent la vie sous Mao Zedong et parfois même avant, et beaucoup d'entre eux sont reconnaissants pour ce qu'il a accompli. De l'autre côté, beaucoup parmi les moyennes et jeunes générations ont tendance à considérer les politiques économiques de Mao comme un désastre pour la Chine; ils répondront aux générations âgées qu'ils ont subi un lavage de cerveau par la propagande de Mao et qu'ils sont incapables de comprendre cette époque. Dans mes discussion avec des Chinois de tous âges, j'ai toujours fait l'expérience qu'en utilisant des données d'une grande variété de sources, p.ex. chinoises et aussi internationales, on peut amener des personnes avec des opinions divergentes à se mettre d'accord au moins sur quelques points. La méthode de recherche proposée ici peut donc améliorer la compréhension mutuelle non seulement entre la Chine et l'Occident, mais aussi à l'intérieur de la société et des familles chinoises.
Réformes et ouverture sous Deng Xiaoping et ses successeurs
La manière dont Deng Xiaoping et ses successeurs ont construit sur les fondations mises en place par Mao Zedong pour lancer la Chine sur la voie de la croissance économique rapide et de l'amélioration des conditions de vie est également unique au monde: aucun autre pays n'a obtenu une croissance rapide en partant d'un niveau de développement aussi bas.
La Flying Eagle Boat Company, ici à l'occasion de l'inauguration d'un nouveau site de production, a été fondée dans les années '80. Elle est rapidement devenue l'un des leaders dans le développement et la production de bateaux d'aviron de compétition. Photo Otto Kölbl, province de Zhejiang (Chine), 2003.
D'autres pays comme l'Union Soviétique ont également utilisé la collectivisation et l'économie planifiée pour les phases initiales du développement, mais la transition vers la croissance rapide ne s'est pas toujours bien passée. Le deuxième graphique ci-dessus montre bien comment les pays de l'ex-URSS ont vu leur économie s'écrouler complètement suite aux réformes libérales des années 1990. Si nous considérons qu'une bonne infrastructure, de bons systèmes éducatif et de santé ainsi qu'une certaine industrialisation sont les bases nécessaires pour atteindre une croissance rapide, il est évident que l'URSS remplissait les conditions pour un énorme boom économique bien avant 1990. Quand le bloc soviétique a commencé ses réformes en 1990, la Chine avait déjà montré le chemin avec plus d'une décennie de croissance économique rapide. Malheureusement, aussi bien les leaders de l'ex-URSS que leurs conseillers occidentaux étaient trop arrogants pour ne soit-ce que considérer la possibilité d'apprendre de la Chine.
Quelles sont donc les leçons que les leaders soviétiques auraient pu apprendre de la Chine? La recette de Deng Xiaoping ne consistait pas simplement en une "libéralisation économique", comme on le nous présente, mais en une libéralisation extrêmement lente et graduelle, s'étalant sur plus de 50 ans. Encore maintenant, plus de 35 ans après le début des réformes, de nouveaux secteurs de l'économie sont progressivement libéralisés qui avaient été épargnés jusque-là.
D'autres aspects du système chinois sont plus difficiles à saisir. La plupart des auteurs aussi bien occidentaux que chinois décrivent un Parti Communiste qui contrôle chaque petit détail de la vie économique. Certains secteurs clés de l'économie chinoise comme le secteur bancaire (légal), l'énergie, les télécommunications etc. sont totalement contrôlés par l'Etat. D'un autre côté, quand on parle avec des entrepreneurs, en particulier les propriétaires de petites entreprises familiales, j'ai souvent été surpris de voir comme l'Etat interfère peu avec leurs activités commerciales. En comparaison avec d'autres pays, la paperasse administrative est réduite au minimum; la législation et la réglementation sont relativement vagues et souvent appliquées de manière créative. Le Parti Communiste intervient seulement quand il considère qu'il y a un sérieux problème; la législation extrêmement vague ne restreint pas son pouvoir d'intervenir comme bon lui semble.
Contrairement au commerce de détail de l'électronique de consommation dans les pays occidentaux, le marché de l'électronique de consommation de Zhongguancun à Pékin est constitué d'une myriade de petites entreprises familiales. Photo Otto Kölbl, Pékin (Chine), 2012.
De toute évidence, ce système facilite la création de nouvelles entreprises; d'un autre côté, il n'offre que peu de protection contre les abus, par exemple par les partenaires commerciaux. Ce qui a l'air d'être un désastre pour le développement économique est en fait l'un des secrets du développement chinois: cette relative insécurité des relations commerciales favorise l'émergence de petites entreprises familiales qui opèrent dans des communautés d'intérêt fermées. Comme les entrepreneurs connaissent très bien leurs fournisseurs et leurs clients, les coûts de transaction sont très bas. L'absence de paperasse compliquée permet même à des paysans avec peu d'éducation formelle de se lancer dans les affaires. La complexité formelle de l'"Etat de droit" leur rendrait la vie impossible et permettrait aux grandes entreprises nationales ou multinationales de contrôler le marché, comme c'est le cas dans les pays occidentaux.
La minorité musulmane Hui, reconnaissable ici à la mosquée au premier plan et aux maisons jaunes et vertes, est un parfait exemple d'une communauté soudée qui a bien réussi dans les affaires. Photo Otto Kölbl, Taktsang Lhamo/Langmusi (province de Gansu, Chine), 2012.
Ce ne sont que deux des nombreux facteurs qui ont fait le succès des réformes commençant en 1978, mais qui sont mal compris par les chercheurs aussi bien occidentaux que chinois qui ont tendance à se focaliser sur les entreprises high-tech prestigieuses et les échanges internationaux.
Pour résumer, le modèle de développement Mao-Deng fournit bien des solutions innovantes pour les pays pauvres. La conception et l'implémentation ces solutions par le Parti Communiste a permis à la Chine de se développer plus vite que n'importe quel autre pays au monde, aussi bien du point de vue économique que social. D'un autre côté, les modèles de développement de beaucoup d'autres pays et régions d'Asie ne peuvent pas être appliqué dans le monde actuel car ils reposent sur le militarisme (Japon), sur la colonisation et une aide extérieure massive (Corée du Sud et Taiwan) ou sur l'exploitation parasitique de bases de production voisines (Hong Kong et Singapour).
Le moment est venu pour une analyse du modèle de développement chinois Mao-Deng basé sur des données fiables, en comparaison avec le développement d'autres pays et régions d'Asie et du monde entier. Ceci est le seul moyen pour évaluer les performances des différents modèles de développement. Des organisations internationales et divers spécialistes occidentaux du développement socio-économique fournissent quantité de données variées sur tous les pays du monde. Ces données ont été collectées ou calculées en utilisant la même méthodologie pour chaque pays et ne sont donc pas faussées par un quelconque biais idéologique.
Ceci est malheureusement rarement vrai quand on voit comment les experts occidentaux du développement chinois utilisent ces données. Presque tous reproduisent fidèlement le mantra que l'ère Mao avec ses politiques d'isolationnisme et de collectivisation étaient un désastre total et que Deng Xiaoping aurait pu faire bien mieux s'il avait plus ouvert la Chine à l'influence étrangère et s'il avait libéralisé l'économie plus vite. Les sinologues et médias occidentaux ont toujours adoré décrire le régime communiste chinois comme étant totalement absurde dans son fonctionnement, irrationnel et inhumain. Comment une telle description peut-elle être justifiée si nous regardons les données présentées ici, qui sont considérées comme fiables? Comment se fait-il que la Chine sous le Parti Nationaliste était incapable de fournir la moindre amélioration des conditions de vie à la population alors que les puissances occidentales les plus avancées rivalisaient d'ardeur dans l'aide au développement? Après 1949, comment un régime absurde, irrationnel et inhumain pouvait-il mettre en place un développement non seulement économique, mais aussi social, plus rapide que tout autre pays au monde? Il est terriblement décevant que les experts occidentaux du développement chinois négligent les données utilisées ici, alors qu'elles sont facilement accessibles; une raison peut être qu'il est difficile pour eux d'accepter que la Chine a fait bien mieux sans leur "aide" qu'avec.
Les missionnaires ont non seulement pris beaucoup de photos de la China avant Mao, comme celle-ci d'une opération à Changde (province de Hunan, Chine), ev. 1900-1919; ils ont aussi contribué à l'amélioration de l'éducation et du système de santé. Il peut sembler paradoxal que l'immense majorité des Chinois ont dû attendre l'arrivée au pouvoir de Mao Zedong, qui a expulsé tous les missionnaires, pour bénéficier d'un réel progrès social. Source: International Mission Photography Archive sur Wikimedia Commons.
Il est bien plus difficile de comprendre que les chercheurs chinois n'ont jamais réalisé que des données fournies par les organisations internationales et des experts occidentaux renommés peuvent nous permettre de comprendre le développement chinois bien mieux que l'utilisation exclusive de statistiques chinoises officielles. Très peu d'entre eux ont voyagé dans d'autres pays en voie de développement pour voir par eux-mêmes à quoi ressemble le résultat d'autres modèles de développement sur le terrain. L'absence d'une telle approche comparative au développement est certainement une des raisons pour lesquelles le processus de développement chinois est tellement mal compris à l'étranger. Ceci laisse le champ libre à ceux qui sélectionnent soigneusement les données qui justifient leur critique des politiques chinoises passées et présentes.
Mener des recherches rigoureuses sur le modèle de développement chinois Mao-Deng en utilisant une approche comparative va non seulement améliorer la compréhension mutuelle entre la Chine et le reste du monde. Ces recherches fourniront aussi des données précieuses pour les pays qui n'ont pas encore trouvé un modèle adéquat pour améliorer les conditions de vie de leur population. En contrepartie, cette approche peut aussi fournir à la Chine de nouvelles idées pour développer ses régions qui n'ont pas encore bénéficié du boom économique des régions côtières.
Le tourisme de montagne suisse et le tourisme d'aventure latino-américain peuvent certainement contribuer au développement de l'ouest chinois. Photo Otto Kölbl, Zermatt (Suisse) 2014; Coroico (Bolivie) 2011.